“ Cry me a river „
Just gonna stand there and watch me burn C’était en l'an 1055 lorsque la jeune Simeo, de son vrai nom Oxana Simeo Juvenski, vînt au monde dans la maison familiale des Juvenski. Selena et Yuri espéraient tant un garçon pour cette énième naissance mais ils furent une nouvelle fois gratifiés d’une cinquième fille. Inutile de préciser alors ô combien sa venue n’était pas souhaitée, d’autant plus que la famine se faisait sentir à cette époque. L’idée donc d’une autre bouche à nourrir qui ne viendrait pas en plus combler leur attente, était loin d’être la bienvenue dans la famille que ce soit en ce qui concernait les parents ou les quatre autres filles, jalouses de sa beauté naturelle. En effet, trop nombreux à leur goûts et bien trop soudées, les aînées ne voyaient pas non plus d’un très bon œil la venue de la petite dernière. Et pour cause, elles lui en ont littéralement fait baver d’être venu au monde. Était-ce sa faute ? Bien sûr que non, elle n’avait pas choisi sa vie, pas plus que de pouvoir empêcher ses géniteurs de s’envoyer en l’air dans la grange alors qu’ils savaient pertinemment qu’il serait difficile d’élever un nouveau bambin si Selena tombait enceinte. Bande de crétins se permettait de penser Simeo chaque fois qu’un semblant de mémoire de sa vie humaine remontait à la surface, chose qui était toutefois très rare, il faut le souligner. Cette dernière grandi alors dans une famille où elle faisait office du vilain petit canard, sans cesse martyrisée et humiliée par ses sœurs, exploitée comme un vulgaire esclave et à peine considérée par son entourage. Bref la petite fille vivait l'enfer, et il faut bien avouer que personne n'avait vraiment envie de l'aider. Rachitique à l'aspect blafard, Simeo s'attelait quotidiennement à la tâche avec une rigueur parfois invraisemblable. Elle aurait tout fait pour être aimée des autres mais apparemment rien n'y faisait, elle avait beau accomplir leurs quatre volontés, elle n'en demeurait pas moins un intrus au sein de cette famille.
Rejetée donc dans ce monde qui semblait vouloir la faire constamment souffrir, l'enfant grandi avec une rage bien enfouie, une volonté de vengeance dévastatrice qui la consumait de l'intérieur ; de pouvoir faire souffrir les autres autant qu'il avait souffert. Et pour cause, outre le fait d'avoir été considéré comme la pauvre Causette, Simeo avait plus d'une fois été battu ou ridiculiser par une bonne partie du village dans lequel elle vivait. Tula à l'époque était un petit patelin où il n'y faisait pas bon de rester plus d'une nuit tant les conditions étaient rudes. Pour s'alimenter, c'est bien simple, la plupart des habitants parcourait le trajet d'une journée à pieds pour rejoindre l'ancienne Moscou, la capitale, et pouvoir vendre ou acheter ce dont ils avaient vraiment besoin. En l'occurrence chez les Juvenski, comme vous vous en seriez douté, c'était la jeune enfant qui devait s'en charger. C'était une tâche mensuelle à laquelle celle-ci ne perdait jamais de temps pour l'exécuter. En effet, certes le chemin était long et épuisant, mais une fois arrivée dans la capitale, la pauvre brunette revivait. Plus personne pour lui dire quoi faire ou la rabaisser plus bas que terre. Ici, Simeo existait et ne serait-ce que pour ça, il lui était souvent difficile de se résoudre à quitter cet endroit. Lors de son passage, elle était considérée, appréciée parfois à sa juste valeur. Cependant après des années de calvaire comme les siennes, après ne s'être que très rarement ouvert ou exprimé aux autres de peur de recevoir des coups, la jeune russe était loin d'être à l'aise en conversation. Disons que ses longs silences en avaient parfois dérouté plus d'un. Pourtant il faut le croire, elle n'aurait demandé que ça : discuter avec d'autres personnes, rire aux éclats, sourire à la vie. Mais le destin en avait décidé autrement. C'est pourquoi Simeo était devenue une personne totalement introvertie, rarement souriante, au regard lourd de conséquences et avec une allure peu certaine. Même du haut de ses 23 ans à présent, la jeune femme paraissait peu robuste et affichait une mine qui jonglait perpétuellement entre la malnutrition et la maladie. Mis à part cet aspect peu flatteur, le souffre douleur possédait deux magnifiques iris d'un bleu-gris renversant, des lèvres fines et rosées et un nez un tontiné aquilin. Ses cheveux couleur châtain-auburn , toujours ébouriffés, venaient rompre en partie avec son teint spectrale. De taille moyenne et même si elle paraissait chétive au premier abord, Simeo n'en restait pas moins robuste, durement gagné par toutes ces années de dur labeur.
“ The beginning of the end „
It's the last chance to feel again Dans le mois qui précéda ses 23 ans, Simeo dû une nouvelle fois se rendre dans la capitale afin d'aller acheter des sacs de farine pour la conception de pains et autres aliments céréaliers nutritifs aux besoins des Juvenski. Pourquoi continuer à vivre ainsi ? Pourquoi ne pas s'enfuir avec l'argent destiné à acheter ses sacs ? La cinquième fille s'était plus d'une fois posée la question, croyez-le. Elle avait envisagé à maintes reprise sa libération mais une incessante question venait le ramener à la raison : Où irait-elle ? Si elle avait trouvé la réponse, il y aurait bien longtemps qu'elle se serait enfuie, laissant ses misérables paysans à leur vie dénuée d'intérêt. Pour l'heure, Simeo continuait d'obéir, mettant depuis sa naissance ses propres sentiments de côté.
C'était la fin d'après-midi lorsque elle s'arrêta quelques minutes pour se reposer. Les derniers rayons de soleil s'exténuaient derrière un ciel mauve-oranger. Elle venait de passer la moitié de la journée à déambuler dans les rues de la capitale afin de trouver ce pourquoi la brunette avait été envoyé ici. Elle était complètement épuisée et n'aspirait plus qu'à une chose à présent, fermer les yeux l'espace d'un instant et laisser son corps meurtri reprendre des forces pour le retour, car oui, elle devait repartir sur le champ pour arriver à Tula en fin de journée.
« Juste quelques minutes, pas plus », se promit-elle, comme si en disant ces mots elle cherchait à se trouver une excuse. La jeune femme s'assoupit alors sur le rebord d'une fontaine qui servait de carrefour entre plusieurs petites ruelles et laissa la fatigue l'emporter un court instant. Ce fut la dernière fois qu'elle put se prétendre de rêver.
(...)
Simeo ouvrit les yeux d'un air surpris. Un cri strident venait de la sortir du pays des rêves. La nuit était tombée et elle put se retrouver face à un ciel étoilé lorsqu'elle revînt à la réalité. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, la première chose qui frappa la jeune russe fut sans conteste la tombée de la nuit. Combien de temps s'était-elle assoupi ? 10 minutes ? 1 heure ? 2 heures ? Impossible de le savoir mais une chose était sûr, elle n'avait que trop dormi. Alors qu'elle venait de se lever en trombe, attelant déjà la charrette qui devrait la ramener dans son village, Simeo fut à nouveau distraite par un autre hurlement. Il n'était certes pas très audible mais suffisant pour que celle-ci l'entende. Un mélange de curiosité et de peur l'envahit soudain. Devait-elle poursuivre son chemin ou bien aller voir ce qui se passer ? En retard pour en retard, elle savait pertinemment qu'elle aurait le droit à un lynchage une fois rentré Tula ; alors autant répondre à ce goût du danger inassouvi. La causette, légèrement inquiète, laissa les sacs de farine et s'avança vers l'origine du bruit. Elle avait cru l'entendre derrière l'une des petites ruelles du carrefour. A chacun de ses pas vers la source du cri, Simeo sentait les battements de son cœur battre la chamade, prêt à exploser dans sa poitrine. Bizarrement, c'était bien la première fois de son existence que la pauvre imprudente se sentait vivante. Oui vivante, comme jamais elle n'avait pu l'être auparavant. A croire que se mettre en danger lui procurait une dose d'adrénaline suffisante pour la sortir de sa torpeur habituelle.
Avançant à pas raisonnable, la brunette arriva enfin au coin de la ruelle et jeta un coup d'œil en travers. Ses yeux grisâtres s'écarquillèrent lorsqu'elle aperçut l'horreur qui se tenait devant elle. Difficile de voir clairement avec cette nuit noire à peine illuminée par les astres. Mais même avec ces conditions, Simeo put parfaitement distinguer une immense silhouette vêtue d'un manteau à la noblesse dorée en train de vider de son essence vitale le très probable propriétaire du cri strident. Elle était complètement tétanisée, paralysée par la peur et stupéfaite par la scène qui se déroulait sous ses yeux. Le malheureux semblait s'éteindre à petit feu car il avait cessé de se débattre et ses paupières s'étaient à présent fermées en un battement de cils. Le sang qui s'échappait de sa jugulaire continuait pourtant de couler à flot le long de son cou, permettant apparemment à son bourreau de se nourrir avec délectation.
Soudain, ce dernier s'arrêta d'un seul coup et releva la tête en direction de l'intruse. Il avait senti sa présence. A cet instant précis, Simeo compris qu'il fallait partir. C'est ce qu'elle entreprit d'ailleurs de faire au moment où la main glaciale du tueur se retrouva par magie autour de son cou, la plaquant ainsi violemment contre l'angle du mur. Elle était faite comme un rat et ne pouvait plus bouger. Comment un homme pouvait-il être aussi fort ? Lorsque la jeune Juvenski croisa le regard de son attaquant la réponse lui devînt plus qu'évidente. Deux grosses pupilles d'un rouge vif la transperçaient de l'intérieur et du sang fraîchement séché s'était éparpillé un peu partout autour de sa bouche. Il n'était pas humain, du moins il ne semblait plus l'être depuis des décennies.
Simeo aurait pu se débattre ou hurler comme la précédente victime mais la seule chose qu'elle l'entreprit de faire fut de placer l'une de ses mains sur celle de son agresseur comme pour tenter vainement de s'extraire de son emprise. Et alors que ce dernier était sur le point de planter ses canines acérées dans le cou de notre ami, celui-ci s'arrêta net au contact de sa main. Durant quelques secondes il fut comme absent, perdu au fin fond de son esprit. La jeune femme le scruta tétanisée.
« Hummm … intéressant », laissa-t-il échapper avec un sourire sadique aux bords des lèvres après être revenu de sa transe soudaine. La prisonnière ne compris pas ce qu'il voulait dire par là, elle était juste persuadée de subir le même sort que l'autre malheureux. Elle savait qu'elle aurait dû poursuivre son chemin et ne pas laisser libre cours à sa curiosité. Voilà ce à quoi cela l'avait mené : mourir ici, dans une ruelle sombre de la capitale, à peine âgé de 20 ans et n'ayant jamais vraiment vécu. C'était peut-être mieux ainsi pensa-t-elle ; au moins dans les abysses de la mort personne ne viendrait lui retirer sa liberté. Elle plongea alors dans les yeux de son assassin et s'abandonna à son destin. Mais le monstre semblait avoir trouvé une toute nouvelle utilité à sa proie. Alors que Simeo s'y attendait le moins, il relâcha son étreinte, la laissant ainsi tomber à terre avec une fragilité déconcertante. La jeune russe était complètement perdue, elle ne savait plus quoi penser face au comportement de cet homme au regard sanglant. Elle s'était préparée à mourir et maintenant la faucheuse jouait avec ses émotions, mais dans quel but ? Le suspens fut de courte durée car déjà le tueur s'approcha de son visage avec la même vitesse surhumaine que tout à l'heure ; il était à présent à quelques centimètres de sa peau. La respiration de Simeo se faisait de plus en plus forte et elle luttait de tout son être pour empêcher son cœur d'exploser.
« Comment t'appelles-tu ? » demanda alors l'assassin. Difficile de cerner ses expressions car sa peau était d'une blancheur éclatante et d'une dureté sans pareille. L'intruse prit une grande inspiration avant de répondre avec précaution :
« Simeo ». Le dit tueur poursuivit son interrogatoire.
« As-tu peur de la mort, Simeo ? ». La jeune femme hésita un instant avant de répondre, toutes les fibres de son corps tremblaient à l'idée de céder ce mot de trois lettre. Puis finalement, sa pression lâcha avec une sévérité que l'on ne lui connaissait pas.
« Non ». Avait-elle bien répondu ou au contraire avait-elle tout faux ? Peu importe car la blondinette avait été plus qu'honnête, c'était sans doute la première fois qu'elle agissait ainsi envers un inconnu, voir envers elle-même. Le monstre sembla satisfait de sa réponse et avec un sourire mystérieux qui laissait apparaître ses canines aiguisées tâchées de sang, il murmura ces paroles :
« Fort bien alors ... ». Et au même moment celui-ci se jeta sur la carotide de la pauvre fille. Au contact de la morsure, une douleur vive se fit ressortir dans tout son corps. Elle se mit à hurler en se tortillant sur elle-même, ayant l'impression qu'on lui injectait de la lave en fusion directement dans les veines. Son martyr fut tel qu'après quelques minutes de torture intense, Simeo finit par s'évanouir.
“ Don't be afraid, be terrified ! „
And she will cry bloody tears Trois jours. Trois jours que Simeo avait dû subir la douleur de la morsure de son bourreau. Ces 72h avaient été les plus étranges et les plus douloureuses que la russe ait pu connaître au cours de ses vingt-trois années de souffrance. Heureusement, elle était plusieurs fois tombée dans le monde de l'inconscient durant un grand nombre d'heures à chaque fois, lui permettant ainsi d'échapper un temps soit peu à l'inhumanité de cette épreuve. Elle s'était vu plusieurs fois en train de boire le sang de cet homme et ensuite c'est comme si la nuit l'avait englouti.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux pour la énième fois, son réveil fut tout de suite troublé par le clocher de la ville qui résonnait en écho dans toute la capitale, sonnant inlassablement les coups de 21h. Elle avait la perturbante sensation que celui-ci se trouvait juste à côté de son oreille mais au vue de l'endroit où cette dernière se trouvait, cela ne pouvait être possible. En effet, en dévisageant les lieux, Simeo pu se rendre compte qu'elle ne se trouvait pas à proximité du clocher mais bel et bien dans une chambre plutôt luxueuse pour ce qu'elle avait l'habitude de voir. La tapisserie était d'un sépia clair et les meubles ainsi que les chandelles au lueur dansantes imprégnés d'or fin. La possédée se sentait plus que mal à l'aise dans ces lieux. Elle n'avait pas coutume d'admirer pareil décors et encore moins de se réveiller dans des draps aussi propres et parfumés. Elle remarqua également qu'on lui avait ôté ses vieux habits pour les remplacer par une ravissante robe à manches longues, soutenant sa généreuse poitrine, qu'en temps normal personne n'aurait remarqué sous ses aillons, le tout agrémenté d'un jeune-beige en accord avec sa peau de porcelaine . Si c'était ça la mort, Simeo était alors plus qu'heureuse d'avoir succombée au baiser de la faucheuse. Toutefois, plusieurs question vinrent lui martelaient l'esprit lorsqu'elle se leva, un poil barbouillée d'avoir sauté du lit aussi vite. Que s'était-il passé ? Depuis combien de temps était-elle là ? Et surtout où était passé l'homme de son cauchemar ? A cette interrogation, la jeune femme sentit une nouvelle fois son ventre crier famine. Elle avait faim, terriblement faim et venait à en oublier tout autre chose. S'en plus attendre, elle ouvrit la porte de la chambre avec précaution et jeta un coup d'œil furtif dans le couloir. Personne en vue, elle pouvait sortir. Mais alors qu'elle exécutait ses premiers pas, une délicate odeur vînt lui chatouiller les narines. Fraîche, enivrante à souhait, il lui était impossible de résister et elle partit donc à sa recherche. Ce doux parfum provenait des cuisines. Comment le savait-elle ? Il lui était dans l'impossibilité de répondre mais la belle avança le long du couloir, arpentant par la suite l'escalier menant au rez-de-chaussée, tout ceci bien sûr avec la grâce d'un félin.
Après un bon nombre de dédales et de recoins tous plus invraisemblables les uns que les autres, Simeo arriva enfin à destination. La bête qui gisait au fond de son ventre accentuait encore plus son désir de se nourrir. Elle poussa la porte qui faisait obstacle entre la créature et les cuisines, et poursuivi son chemin d'une conduite ensorcelée. Une fois entrée, la sublime odeur se fit plus imposante. Examinant la salle, elle put constater à son plus grand soulagement qu'elle était vide, personne aux alentours pour l'interroger sur sa présence ici. Rapidement, la curieuse se mit à fouiller dans tous les placards pour très vite tomber sur un reste de lard fumé. La bave lui coulait presque de la bouche et elle déglutit pour ne pas s'étouffer. Son corps était si affamé qu'elle en arrivait à ne plus contrôler aucun de ses mouvements. Sans plus attendre elle extirpa le gigot et le posa violemment sur l'une des tables. L'envoutée ne pouvait plus attendre. Elle planta à la hâte ses deux mains dans la viande encore tiède puis arracha brutalement plusieurs morceaux avant de les ingurgiter directement. La jeune russe prenait à peine le temps de les mâcher. Mais alors qu'elle était sur le point d'avaler une énième tranche, une envie de rendre se faufila le long de sa trachée. Quelque chose bloquait, son corps n'arrivait plus à contenir la viande. C'est pourquoi dans un râlement répugnant, Simeo se mit à contracter son larynx avec frénésie afin d'évacuer ce flux d'aliment. S'agrippant au plateau sur lequel était posé le lard, elle finit par vomir toute ce qu'elle avait englouti et dans le même élan laissa tomber le socle en porcelaine, le reste du gibier suivant de près. Essoufflée, la pauvre fille ne comprit pas vraiment ce qui s'était passé. Elle avait faim ; elle semblait néanmoins que son organisme ne désire finalement pas une chose habituelle pour se nourrir. Elle avait faim d'autre chose, une sensation nouvelle qui continuait de serrer son estomac avec un étau invisible.
“ Show me your teeth „
I feel like a fucking monster Un serviteur qui avait entendu tout ce brouhaha apparu de derrière une porte du fond de la salle. De part sa ravissante toilette, il ne put qu'apprécier le fait que l'intruse soit sans doute une des hôtes de la résidence. Il lui demanda alors avec une politesse à toute épreuve, manquant de faire une crise cardiaque à la malheureuse qui ne l'avait pas remarqué :
« Tout va bien mademoiselle ? ». Il aperçut alors les dégâts.
« Oh mais que s'est-il passé ?! », tout en s'agenouillant pour ramasser les morceaux de porcelaine.
« Pardonnez-moi, je ne voulais pas », finit par dire Simeo, confuse et gênée de la situation. Elle n'était pas à sa place dans cette demeure. D'autant plus que le servant était remarquablement beau aux yeux de la jeune fille. Au contact de la porcelaine aiguisée, celui-ci se coupa le doigt et émit un petit cri plaintif. A la vue du sang s'écoulant de la plaie fraîchement ouverte, cette dernière comprit enfin de ce dont elle avait vraiment besoin. Du sang ! C'était donc ça qui faisait vibrer la créature depuis le début ? Était-ce cette onctueuse douceur qu'elle avait senti de la chambre ? Il faut croire que oui car l'envie de sauter au cou du charmant commis était de plus en plus irrésistible. Elle se pencha à son tour, se retrouvant ainsi face lui. Celui-ci troublé par l'approche de la belle ne put s'empêcher de la regarder fixement. Une femme de son rang ne devrait pas s'abaisser à un tel comportement, pensa-t-il.
« Laissez donc mademoiselle, n'en faite rien ». Si le pauvre enfant savait ! La russe n'était pas plus une noble que lui le Tsar. Simeo n'entendit même pas ses apaisantes paroles puisqu'elle était bien trop omnibulée par l'hémoglobine. Elle prit alors la main de l'employé avec un silence qui en aurait glacé plus d'un et sans trop savoir pourquoi son regard se posa irrémédiablement sur sa carotide. Elle pouvait entendre les battements de son cœur traverser cette peau brûlante de vie. Elle aurait tant voulu résister mais la pression était trop forte.
« Je suis désolée ... », souffla-t-elle alors entre deux pulsations. Ce fut la première et dernière fois que la brunette s'excusa auprès de l'une de ses victimes. Sautant furieusement au cou du serviteur, elle put sentir ses canines s'allongeaient au contact de la chaire. Un flot immense de bien être l'envahit soudain lorsque le sang coula le long de sa gorge. L'enivrante délectation avait pris possession d'elle devenant alors chimiquement impossible de s'en défaire. Ce fut un pur moment d'extase qui dura jusqu'à ce que le jeune homme cessa de se débattre.
Mais alors qu'elle finissait de déguster son repas, des applaudissements se firent retentir derrière son dos. Surpris et totalement confus, Simeo lâcha en un instant le cadavre et se retourna vers l'origine du bruit, du sang chaud coulant encore le long de sa bouche.
« Bravo Simeo, je vois que tu as trouvé les cuisines ! ». Les traits de son visage se stupéfièrent en dévisageant le rodeur. Ce n'était autre que le monstre de la ruelle, celui qui avait reproduit à l'identique la scène qui venait de se dérouler et qui lui avait infligé cette atroce agonie. A la lumière des bougies, elle put l'apprécier davantage. Assez grand et de nature élancé, ses cheveux courts légèrement ondulés d'un noir corbeau venaient cruellement contraster avec sa peau de marbre. Ses yeux rubis ne cessaient de l'observer.
« Qui êtes vous et que m'avez-vous fait ? », demanda la nouvelle tueuse troublée et un poil en colère. L'hémoglobine avait coulé le long de ses lèvres et sa robe, jadis d'un beige-jaune parfait, était à présent immaculée d'une couleur rougeâtre. Elle pouvait encore sentir le sang de sa victime s'épanouir en elle. L'homme afficha un nouveau sourire empli de satisfaction.
« Je me nomme Marius et je t'offre une nouvelle vie ».
“ Open your eyes „
I'm just a stranger in a strange land Marius appris à Simeo qu'elle était finalement devenue un vampire et que pour se nourrir elle avait besoin de sang. Il lui enseigna tout ce qu'elle devait savoir, la prenant sous son aile au cours de plusieurs siècles. Grâce – ou à cause de lui - la nouveau-née devînt alors un buveur de sang redoutable, manipulatrice, dangereuse, à l'esprit toujours vif et prête à tout pour s'amuser. Terminée la pauvre petite fille faible et sans cesse martyrisée par ses semblables. Elle était bien plus fort à présent et surtout immortelle. La mort ne pouvait plus l'atteindre mais, elle, avait la possibilité de la provoquer comme bon lui semblait, d'un simple battement de cils. Ce qu'elle n'omit pas de pratiquer au cours de ces décennies. En effet, quelques temps après sa transformation, Simeo retourna à Tula où elle massacra tous ses habitants et tortura jusqu'à ce que mort sans suive l'intégralité de sa chère famille. Après ce carnage, la vampire fut rebaptisée : Juvenalis, nom qu'elle acquit et fructifia au cours de ce millénaire. Son humanité avait presque disparu, anéanti par cette soif toujours plus grande.
Tout aurait pu être merveilleux pour Simeo si les choses ne s'étaient pas aggravées au fil des années. En effet, Marius était certes celui qui l'avait sauvé de cette vie misérable qu'elle avait dû subir en tant qu'humaine, mais elle se rendit très vite compte que les sentiments que celui-ci éprouvé à son encontre était en quelque sorte malsains, c'est à dire qu'il ne voulait l'avoir que pour lui et personne d'autres. Si d'ailleurs elle refusait ses avances, ce qui arrivait de plus en plus souvent car elle commençait à avoir peur de lui, l'immortel n'hésitait pas à l'hypnotiser pour qu'elle soit à ses ordres. Le pire dans cette histoire, c'est que Simeo était à chaque fois consciente de ce qui se passait mais c'est comme si son corps tout entier refusait d'agir, continuant inlassablement d'exécuter la volonté de son créateur.
C'est un soir alors que des habitants avaient découvert l'existence des vampires dans leur village que Simeo profita du chaos ambiant pour s'enfuir, loin, très loin de Marius. Cela fait près de 500 ans environ qu'elle se cache de lui, évitant le moins possible d'attirer l'attention sur elle. Elle s'est même d'ailleurs teint chez les cheveux en blond doré pour éviter d'être facilement repérable. Sa fuite l'a ainsi amené à poser ses valises à Bon Temps, là où elle l'espère, comme son nom l'indique, souffler un peu et s'amuser.